Nous aimons profondément Mayotte, ses plages, son lagon, ses paysages à couper le souffle. Nous sommes fiers de ce surnom d’île au parfum. Et pourtant, dans nos rues, nos plages, devant nos écoles, on ne peut pas ignorer ce qui nous saute aux yeux. Des déchets, partout. Ce n’est pas de la mauvaise volonté de notre part, c’est juste que nous manquons cruellement de moyens et de vision d’ensemble et de long terme pour gérer tout ça.
Comprendre d'où on part
En décembre 2022, un rapport du Sénat a mis des chiffres sur ce qu’on ressent au quotidien à Mayotte : moins de 20 % de nos déchets sont valorisés, contre plus de 40 % en métropole, et jusqu’à 98% finissent enfoui sous terre. Ces chiffres font mal, mais ils ne sont pas là pour nous accabler.
Ils nous aident à voir les choses clairement et à comprendre l’ampleur du défi qui nous attend. Cela ne veut pas dire que nous ne faisons aucun effort, mais simplement que nous partons de loin, très loin. Inverser la tendance demandera du temps, de la patience et surtout un travail collectif.
Le parcours de nos déchets
Peut-être que vous vous demandez ce qui arrive à vos poubelles une fois qu’elles sont ramassées ? D’abord, elles sont acheminées vers l’un des quatre quais de transfert que compte Mayotte (Hamaha, Badamiers, Malamani ou Kahani). Ces quais servent à regrouper les déchets de différentes zones pour optimiser leur transport vers leur destination finale.
Et cette destination, c’est ce qu’on appelle une ISDND, un nom compliqué pour désigner les Installations de Stockage de Déchets Non Dangereux. Concrètement, il s’agit d’un grand terrain aménagé où les déchets sont compactés puis recouverts régulièrement de terre. Des protections sont mises en place pour limiter la pollution des sols et de l’eau, et on récupère les liquides qui s’écoulent ainsi que les gaz qui s’échappent.
C’est mieux qu’une décharge sauvage, évidemment. Mais ce n’est pas idéal. Une bonne partie de ce qui finit ici pourrait encore être recyclée, compostée ou réutilisée. C’est du gaspillage, et nous le savons. Pour l’instant, cependant, c’est tout ce que nous avons.
La commune de Bandraboua à la rescousse de Mayotte
Le site de Dzoumogné accueille la majeure partie de nos déchets. Pour comprendre son fonctionnement, il faut savoir ce qu’est un « casier » : c’est une grande alvéole creusée dans le sol, conçue pour recevoir les déchets sur une période donnée. Une fois plein, le casier est refermé (les déchets sont compactés, recouverts régulièrement de terre, puis un nouveau casier prend le relais.)
À Mayotte, le premier casier est devenu trop petit face à l’afflux constant de déchets. Un deuxième a donc dû être ouvert pour répondre à cette saturation. Aujourd’hui, ce sont environ 23 hectares (l’équivalent d’une trentaine de terrains de football) qui sont consacrés au stockage des déchets des Mahorais au sein de l’ISDND gérée par le SIDEVAM. C’est énorme, et ça montre bien l’ampleur du défi auquel nous faisons face.
Une déchetterie, en attendant les suivantes
Pour l’instant, nous n’avons qu’une seule déchetterie à Mayotte, située à Malamani dans la commune de Chirongui. C’est peu, beaucoup trop peu pour notre territoire. Difficile de demander à quelqu’un qui habite Trévani ou encore à Sada de parcourir plusieurs kilomètres pour aller jeter correctement ses encombrants.
Cette situation crée des solutions de fortune qui ne sont satisfaisantes pour personne. Dans le Grand Mamoudzou par exemple, les habitants peuvent soit contacter leur commune, soit déposer leurs encombrants aux abords des routes aux jours indiqués par la municipalité.
Les services concernés passent ensuite les récupérer pour les faire suivre le processus habituel. C’est une organisation qui fonctionne tant bien que mal, mais qui transforme nos rues en dépôts temporaires et n’encourage pas vraiment les bonnes pratiques.
Et ailleurs sur l’île, c’est encore plus compliqué. Les plus motivés déposent leurs encombrants dans les points de collecte des déchets classiques, en espérant qu’ils seront ramassés selon le planning du SIDEVAM. Les autres, découragés, ne se compliquent même pas la vie et abandonnent leurs encombrants sur les trottoirs, derrière des voitures, un peu partout…
La collecte des encombrants est principalement gérée par le SIDEVAM pour la majorité du territoire, sauf les communes de Mamoudzou et Dembéni qui ont opté pour une approche via la Cadema (on en reparlera bientôt de ce choix très intéressant).
Le département a annoncé en septembre dernier un objectif de 8 déchetteries sur l’île. C’est exactement le genre de projet dont nous avons besoin. Avec un maillage territorial cohérent, chacun pourrait accéder facilement à une déchetterie de proximité, sans avoir à parcourir l’île entière ni à transformer sa rue en zone de stockage improvisée.
Pourquoi ça n'a pas été une priorité avant ?
C’est la question qui nous traverse tous l’esprit quand on voit l’état actuel de notre île. Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Pourquoi avoir laissé la situation se dégrader à ce point ?
Mayotte a dû faire face à des défis immenses ces dernières décennies : une explosion démographique sans précédent, des flux migratoires massifs, des besoins criants en infrastructures, en écoles, en hôpitaux. La gestion des déchets est passée après, reléguée au second plan, comme si elle n’était pas aussi vitale que le reste. Mais aujourd’hui, nous en payons le prix fort.
Peut-être que les décisions d’hier se justifiaient par d’autres urgences. Peut-être que nous manquions de moyens, de vision, de compétences. Mais à un moment, il faut se poser les vraies questions : combien de projets ont été financés pendant que nos déchets s’accumulaient ? Combien de millions investis ailleurs pendant que Dzoumogné débordait ?
Nos plages méritent mieux que des bouteilles plastiques échouées sur le sable. Nos enfants méritent mieux que de grandir au milieu de dépôts sauvages. Notre lagon, ce trésor classé parc naturel marin, mérite mieux que d’être pollué par nos négligences.
L’île au parfum peut renaître. Elle le doit. Pour nous. Pour nos enfants. Pour toutes les générations à venir qui méritent de grandir dans une île propre, saine, belle.
