J’ai assisté récemment au live « Regards Croisés » organisé par le CHM de Mayotte et le Conseil Cadial. Cette conférence m’a profondément marquée. Je voudrais partager avec vous ce que j’ai entendu, compris, et les questions que cela soulève pour l’avenir de la santé mentale sur notre île.
Le Conseil Cadial de Mayotte, une institution méconnue mais essentielle
Avant de vous parler de cette rencontre, je dois vous présenter le Conseil Cadial de Mayotte. Beaucoup de gens, même à Mayotte, ne savent pas exactement ce qu’est cette institution.
Le Conseil Cadial est une institution unique en France. Elle existe parce que Mayotte a une histoire particulière. Notre île appartient à la République française, mais elle garde aussi ses racines profondément ancrées dans le monde musulman et la culture mahoraise.
Les cadis sont des figures traditionnelles de notre société. Historiquement, ils étaient juges, administrateurs et conseillers spirituels, jouant un rôle central dans l’organisation de la vie sociale et familiale. Aujourd’hui encore, le Conseil Cadial continue d’intervenir dans les questions de médiation, de conseil et d’accompagnement des familles, maintenant ainsi sa place importante dans notre cohésion sociale.
Ce que j'ai découvert sur l'état de la psychiatrie à Mayotte
Un passé qui pèse encore sur nos épaules
Une spécialiste en psychiatrie est intervenue pendant la conférence. Elle a expliqué qu’avant, les malades mentaux étaient persécutés. Isolés, enfermés, enchaînés même. Cette réalité historique m’a glacée.
Et moi je me souviens encore de certaines familles à Mayotte qui cachaient les personnes avec des déficiences mentales pour ne pas avoir honte. Faute d’accompagnement, ne sachant pas quoi faire, elles préféraient les cacher du regard des autres.
D’autres les abandonnent carrément à leur sort. Ces personnes sont aujourd’hui en train de traîner dans les rues de Mayotte. On les voit, on les croise, mais on fait comme si elles n’existaient pas.
La peur du mot "psychiatrie"
J’ai été frappée par les témoignages sur cette peur persistante. Le mot psychiatrie renvoie immédiatement à la folie, à la possession, à la honte. Beaucoup de Mahorais hésitent à consulter au CHM. Ils redoutent le regard des autres, le qu’en-dira-t-on.
Pendant la conférence, plusieurs personnes ont fait le constat d’une prise en charge qui n’est pas encore à la hauteur des besoins. Le manque de structures et de personnel a été évoqué, mais sans blame, plutôt comme une réalité à reconnaître. Ce qui m’a le plus interpellée, c’est cette incompréhension entre les soignants venus de métropole et la population locale. Comment soigner quand on ne comprend pas les codes culturels de celui qui souffre ?
Je me suis demandée alors comment nous, peuple mahorais, abordons vraiment la psychologie. Entre nos mythes, nos cultures, nos traditions et notre religion, où se situe la frontière entre le spirituel et le médical ?
L'intervention du Conseil Cadial m'a fait réfléchir
Des paroles qui ouvrent le dialogue
Le Grand Cadi de Mayotte a pris la parole. Ses mots m’ont touchée. « Je suis content de croiser les regards, de pouvoir traiter les sujets sous plusieurs points de vue. » Cette ouverture m’a semblé essentielle.
Monsieur Chaanfi, représentant du Conseil Cadial, a rappelé cette double appartenance de Mayotte. République française et monde musulman. Ce n’est pas une contradiction, c’est notre réalité. Le Conseil Cadial, sans être composé de médecins, joue un rôle fondamental dans notre cohésion sociale.
Une question légitime que je me pose
Je comprends les critiques. Faut-il vraiment confier la discussion sur la santé mentale à des religieux plutôt qu’à des médecins ? Cette question m’a traversée plusieurs fois pendant la conférence.
Mais en y réfléchissant, je me dis que peut-être nous posons mal le problème. Et si au lieu d’opposer ces deux mondes, nous cherchions à construire des ponts ? La médecine peut-elle cohabiter avec la foi dans la prise en charge du mal-être ?
Je crois sincèrement que oui. Selon moi, notre vie est rythmée par la médecine et le spirituel. Les deux ne s’excluent pas nécessairement.
Ce que je retiens pour l'avenir
J’estime que chacun doit pouvoir choisir sa voie en connaissance de cause. Pour certains, les soins médicaux suffiront, pour d’autres, la spiritualité complètera le traitement. Et c’est très bien ainsi.
Mais une question reste ouverte dans mon esprit. Jusqu’où peut-on mêler ces deux univers sans créer de conflit ni perdre ce qui fait la force de chacun ?
Ce que j’ai vraiment compris ce jour-là, c’est que l’avenir passera par une reconnaissance mutuelle. Le médecin doit reconnaître la légitimité des croyances et pratiques spirituelles. Le croyant doit reconnaître les apports de la science.
La conférence « Regards Croisés » n’a pas apporté toutes les réponses, et je ne m’y attendais pas vraiment. Mais elle aura au moins permis d’ouvrir le débat.