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Le Manzaraka, mariage traditionnel à Mayotte, est censé être un moment de joie et de transmission. Il marque le passage des jeunes vers le monde adulte, une célébration où la communauté se rassemble pour honorer l’union et partager la fête. À l’origine, il s’agissait d’une passerelle entre générations, empreinte de simplicité et de solidarité.

Historiquement, c’était quoi ?

Autrefois, lorsque deux êtres voulaient s’unir, la famille du futur marié allait rencontrer celle de la future mariée afin d’exposer leur volonté de sceller cette union, de discuter du prix de la dot et des festivités à organiser. La société mahoraise plaçait la famille de la mariée au cœur de l’accueil : c’était elle qui préparait la salle destinée aux festivités, cuisinait les plats, décorait l’espace et confectionnait les colliers de fleurs.

De son côté, la famille du marié avait la responsabilité d’apporter la dot, l’or, l’ameublement de la future maison ainsi que les éventuels cadeaux.

Le Djavi est un tapis traditionnel, souvent posé au sol dans la salle destinée à accueillir les convives. Il symbolise l’hospitalité et fait partie intégrante de l’organisation du Manzaraka.
Dans un commun accord, la famille du marié annonçait le nombre d’invités qu’elle comptait emmener et précisait donc le nombre de Djavi nécessaires. La famille de la mariée se chargeait alors de préparer de quoi les accueillir.

Chacun jouait son rôle, dans une logique de partage et de respect des traditions, sans surenchère ni démonstration excessive.

Il existait également une forme de séparation :

  • Les hommes de la famille du marié étaient accueillis dans une salle pour partager un repas, avec des tables dressées et des préparations variées. Ici intervenait le rôle des pepeyeuse, des femmes munies d’un éventail, dont la mission était d’éventer les hommes afin qu’ils ne transpirent pas. Même sans chaleur, l’acte était attendu : il relevait plus du rituel que de la nécessité.
  • Après ce moment, le marié, accompagné de sa famille proche et de ses témoins, allait à la découverte de la mariée. Celle-ci portait un voile qui cachait son visage. Pour avoir le privilège de découvrir sa femme, le marié devait offrir de l’argent.

Une fois cette étape accomplie, les hommes allaient de leur côté, tandis que les femmes se retrouvaient dans la salle des fêtes appelée bandra brandrani. Ces deux moments se déroulaient en parallèle, chacun suivant son propre rituel et sa propre ambiance.

Des dérives se sont installées au fur et à mesure que le temps passe

Avec le temps, le Manzaraka a perdu une partie de son sens premier. Ce qui devait être un moment de joie et de transmission s’est progressivement transformé en une scène de rivalité. Les familles ne se contentent plus de respecter la tradition ni les bonnes mœurs.

Le repas des hommes

Nous avons vu plus haut le déroulé du repas. Aujourd’hui, certaines familles ont donné de nouvelles missions aux pepeyeuses : nourrir les hommes présents, danser pour eux, puis, une fois le repas terminé, hommes et femmes se retrouvent pour danser tous ensemble.

Dans la salle de fête (bandra bandrani)

Autrefois, les femmes qui assistaient aux festivités s’installaient autour de leur Djavi, mangeaient, partageaient un moment de joie et offraient un cadeau selon leur convenance à la fin. Désormais, lorsqu’on y va, il faut obligatoirement donner une somme d’argent minimum, calculée en fonction du nombre de personnes assises sur chaque Djavi.

Est-ce là le moyen trouvé par la famille qui accueille pour ne pas trop perdre dans la préparation ? Difficile à dire. Toujours est-il qu’il n’est plus rare de voir certaines personnes renoncer à assister au mariage, faute de pouvoir sortir la somme minimum requise.

Quand la fête devient compétition

Avec le temps, certaines dérives ont transformé le Manzaraka en une véritable compétition. La recherche du « plus beau mariage » est devenue une course effrénée :

  • la plus grande salle,
  • les décorations les plus extravagantes,
  • les buffets les plus impressionnants.

Chaque famille veut surpasser la précédente, comme si l’essence même de l’union se mesurait désormais à la hauteur des dépenses.

Le poids des apparences

Le problème est que même ceux qui n’ont pas les moyens se sentent obligés d’entrer dans cette danse. Résultat :

  • prêts bancaires contractés,
  • dettes auprès des proches,
  • pression sociale insoutenable.

Ce qui devait être un jour de bonheur se transforme alors en fardeau financier et en source de tensions au sein des couples. Le paraître prend le pas sur l’essentiel : l’amour, la stabilité et la construction d’une vie commune.

Conclusion

On peut se demander si un jour viendra une génération qui refusera cette surenchère. Une jeunesse qui dira : « Peu importe les 10 000 euros de dot ou les 15 000 de préparatifs, l’important est notre union et non la comparaison avec Halima ou Zawadi. »

Le Manzaraka doit retrouver son sens premier : un moment de joie, de transmission et de solidarité. Tant que le paraître dictera les règles, les mariages risquent de se fragiliser sous le poids des dettes et des rivalités. Revenir à l’essentiel, c’est protéger l’avenir des couples et préserver la valeur de cette tradition.

Sous le poids de tout cela, les mariages mahorais ne durent plus. Après avoir dépensé allègrement et s’être endettés pour plusieurs années, certains couples finissent par se séparer après seulement quelques mois. Parce que oui, il faut savoir payer le prix de ses actions.